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Sédation, euthanasie, suicide assisté : et si on arrêtait de tout mélanger ?

par Dr Bernard Devalois, 26/02/2013 (extraits)

Après le rapport Sicard sur la fin de vie, c'est au tour de l'Ordre des médecins de se prononcer en faveur du droit à une sédation qui accélère la mort dans les situations difficiles de fin de vie. S'agit-il d'une forme d'euthanasie? François Hollande a saisi le Comité consultatif national d'éthique de cette question. Pour le Docteur Bernard Devalois, chef de service de médecine palliative (CH René Dubos, CH Pontoise), il est urgent de comprendre de quoi on parle et d'appliquer la loi Léonetti sur la sédation palliative.

Le rapport Sicard remis au Président de la République en décembre dernier et la récente prise de position du Conseil national de l'Ordre des Médecins ont semé un certain trouble. Une clarification de ce qui se cache derrière le mot sédation est donc indispensable pour comprendre les enjeux du débat autour de l'assistance médicalisée à la fin de vie. Le terme de sédation est flou. Il peut en fait désigner des actions médicales très différentes, notamment dans leurs implications éthiques. Il faut impérativement distinguer entre l'utilisation de traitements à visée sédative pour soulager un malade en fin de vie, et l'utilisation de sédatifs pour faire perdre conscience à un malade, jusqu'à la survenue de sa mort, à sa demande et alors qu'il n'existe pas d'indications médicales.

Des implications éthiques très différentes

Dans le premier cas, il s'agit d'agir sur des symptômes d'inconfort réfractaires (c'est à dire qu'on n'arrive pas à soulager). La démarche est purement bientraitante. Elle ne vise pas à provoquer la mort du patient mais à la rendre moins insupportable. Elle est toujours proportionnée à la souffrance qu'elle soulage — elle peut être suspendue ou maintenue uniquement la nuit par exemple. D'autre fois il peut être décidé de la maintenir jusqu'à la mort, pour des patients dont la mort est inéluctable et chez qui on ne peut être sûr qu'il n'y a pas de symptômes d'inconfort. C'est le cas chez certains patients cérébrolésés en réanimation ou chez des nouveau-nés, notamment quand on arrête des traitements qui maintiennent artificiellement en vie. Les textes réglementaires français ont entérinés cette pratique en 2010.

Même s'il existe un risque d'accélérer la survenue du décès, cette sédation palliative est légale (article 2 de la loi de 2005) et légitime (conformément aux recommandations professionnelles). Elle ne pose pas de problèmes sur le plan éthique. C'est même sa non-mise en œuvre qui pourrait être considérée comme de la maltraitance. Lorsqu'un patient conscient et en toute fin de vie demande à être endormi en raison de tels ou tels symptômes, y compris une détresse psychique, il est du devoir des professionnels d'y apporter une réponse adaptée et proportionnée.

Mais d'autres utilisations de la sédation sont possibles. Jusque dans les années 80 c'était une pratique courante que d'accélérer la mort des patients considérés comme en fin de vie. Un mélange de produits, détournés de leur usage thérapeutique, était explicitement nommé « cocktails lytiques ». Désormais ces pratiques –sans aucune information et sans aucun consentement – ont disparu (on l'espère en tout cas !).

Mais le recours aux sédatifs plongeant un patient dans un coma profond jusqu'à la mort, sans que cela ne soit justifié par l'existence d'un symptôme réfractaire, est une pratique loin d'être exceptionnelle actuellement. Il s'agit alors, puisque la sédation n'est plus proportionnée à la souffrance, d'un surdosage volontaire. Et donc d'une manière indirecte d'accélérer la survenue de la mort sous couvert du terme de « sédation terminale», qui évite de parler d'euthanasie lente. Notons qu'aucun pays au monde n'a donné aux médecins le droit de pratiquer de telles sédations euthanasiques, qui sont donc pratiquées clandestinement.

Si la sédation devenait un droit du patient (comme il y a un droit du patient de refuser tout traitement), cela poserait encore d'autres questions. La création d'un tel droit – que certains évoquent ouvertement – serait (contrairement à la sédation à visée palliative) une forme de légalisation des injections létales. Cette sédation à la demande du patient serait bien le moyen lui permettant d'obtenir une assistance à son intention suicidaire. Il s'agirait donc bien d'une forme de droit à l'euthanasie similaire à ce qui est légalisé dans les pays du Benelux. Au nom de la prééminence de l'autonomie de décision du malade, elle s'imposerait au médecin sans que celui-ci ne puisse s'y soustraire.

Du droit à la sédation au droit au suicide...

Le droit à la sédation à la demande est donc un des moyens possibles du droit au suicide. Mais la liberté du suicide n'implique pas un droit au suicide entendu comme un droit à créance (un droit à une assistance au suicide par l'Etat).

Certains considèrent que la liberté individuelle du suicide repose sur la décision et que sa réalisation peut être déléguée à un tiers — cette réalisation peut alors être confiée par la loi aux médecins. C'est ce qui a été légalisé dans les pays du Benelux, et c'est ce qui serait légalisé par un droit à la sédation. Mais on pourrait aussi imaginer d'impliquer d'autres catégories professionnelles, voire créer un nouveau métier !

D'autres, au contraire, considèrent que la mise en œuvre du suicide ne peut être séparée de la décision, et qu'aucun tiers ne peut être autorisé ou mandaté à mettre en œuvre pour autrui ce geste intime. La création d'un droit au suicide passe alors par la fourniture, dans des conditions strictes, des moyens pharmacologiques du suicide à ceux qui remplissent les conditions fixées, en les laissant réellement libres de l'utiliser ou non. C'est le choix qui a été fait en Oregon. Cette autre piste, plus respectueuse des droits individuels, donne des garanties indiscutables, puisque c'est le patient qui s'administre le produit.

Si en tant que médecin je n'ai pas d'avis à donner sur les choix de société qui seront faits en matière de droit au suicide, j'ai tout au moins un avis de citoyen. Et je pense qu'une société qui donne aux uns les moyens de se suicider aura du mal à lutter contre le suicide des autres. Comment à la fois promouvoir le suicide assisté, et faire campagne contre le suicide des jeunes ou des personnes âgées. ? Le modèle libertarien me paraît aller à l'encontre d'une société solidaire des plus vulnérables. Plutôt qu'aider les gens à se suicider, nous devons les aider à ne plus en avoir le désir.

La France est le seul pays à avoir légiféré, dans la loi Leonetti, en 2005 puis en 2010, sur la possibilité de la sédation palliative. Loin d'être en retard, nous avons donc déjà un dispositif intelligent et novateur. Cela n'empêche pas de réfléchir sereinement à ce qui pourrait l'améliorer : en favorisant et en développant la sédation palliative, et en combattant la sédation euthanasique.

Source : La Vie